En Europe dès le début du XXe siècle, des voyageurs ont collectés des peintures tibétaines. En France, en Angleterre, en provenance de l’empire anglo-indien, se constituent des collections de manuscrits indiens et népalais et de peintures ; Giuseppe Tucci rassemble en Italie une sélection d’érudit.
Dans les années 70, de grands ensembles privés et publics se constituent par vagues, formés surtout d’œuvres népalaises anciennes et de peintures tibétaines plus tardives.
Il faut noter qu’à partir des années 70, les œuvres tibétaines deviennent des sujets non seulement de curiosité ou d’étude bouddhiste ou encore ethnographique mais prennent progressivement valeur d’œuvres d’art. Ces œuvres deviennent objets d’étude muséologique.
Avec leur multiplication dans les collections occidentales et l’accroissement des connaissances dues aux publications érudites, une certaine hiérarchie des valeurs s’est instaurée, illustrant leur aspect esthétique ou de rareté. On peut souligner que l’intérêt religieux n’est à peu près jamais évacué ni par les tibetologues ni par les collectionneurs ni par les conservateurs et constitue un objet d’intérêt et une préoccupation essentielle.
En occident, le dernier tiers du siècle passé a vu s’opérer une mutation intégrale dans la perception du monde himalayen et de son expression picturale, parallèlement à une évolution spécifique de la muséologie en occident. Avec le développement de la fréquentation des musées par le grand public, la recherche avide d’œuvres nouvelles, la course à la constitution de collections exhaustives, de nombreuses institutions universitaires et privées ont initié de nouvelles disciplines dans le domaine de la conservation et de la restauration, ainsi que la constitution d’un cahier des charges international éthique scientifique et technique. Dès 1986 l’Icom (Conseil International des Musées) publiait : « Le conservateur restaurateur, une définition de la profession » (vol 39 n°1 Paris Unesco 1986), depuis ces règles ont été réactualisé en 1992, consolidé par l’Ecco (European Confédération of Conservater Restorater’s Organisation) et enfin ratifié en 1995 par toutes les associations de restaurateurs. C’est dans cette perspective historique que se situe l’historique des premières approches sérieuses de conservation et de restauration de la peinture himalayenne.
En France, avant les années soixante, les peintures tibétaines, principalement conservées au Musée GUIMET, étaient traitées par un atelier de rentoilage parisien renommé dont l’approche – en tant que pratique de conservation – était exclusivement occidentale. Les tangkas présentant des déchirures ou une faiblesse de support étaient rentoilés et tendus sur châssis, ce qui en occultait le dos et bloquait l’ensemble.
Aux Etats Unis et en Angleterre, afin de préserver la lecture des écrits aux dos des œuvres, certains restaurateurs ont eu l’idée de les coller sur des plaques d’ Altuglass, plus ou moins épaisses et souples, à l’aide d’un adhésif synthétique. Ceci ne pouvait se faire qu’au détriment de la fonction mécanique et esthétique naturelle de l’œuvre et de son montage. Cette pratique a été abandonnée depuis.
On a vu aussi des tangkas montés sur papier à la chinoise ou à la japonaise. Cette formule écrase, aplatit et bloque ce que requiert ce type d’œuvre, à savoir le mouvement, la profondeur de champ et la souplesse. De surcroît, elle en occulte le dos. Nous savons que ce choix est apparu au restaurateur comme le plus simple et que parfois il est encore appliqué.
Quant au traitement de la couche picturale, la méconnaissance des techniques tibétaines d’origine donnera des résultats désastreux : des nettoyages drastiques avec utilisation de solvant à forte rétention sans compréhension de la nature si originale des couches picturales tellement variées dans leur application : vermillon très riche en gomme, ombre indigo posée en surface, azurite et malachite très denses en colle… Le vieillissement des pigments étant variable, l’étude préalable à toute intervention est primordiale.
En occident, à cette même époque, les retouches ont été faites de façon inadéquate, souvent directement sur la toile, avec une mise au ton dans les manques, d’abord à la détrempe puis à l’acrylique.
En résumé, beaucoup de balbutiements, d’essais, d’approches furent peu concluants du point de vue de la conservation et surtout peu adaptés à ces œuvres particulières pour lesquelles aucune méthode sérieuse n’a jamais été développée.
Des approches historiques et scientifiques sont menées actuellement dans des ateliers privés, dans certains laboratoires de musée, dans certains temples au Bhoutan et au Népal, avec la collaboration d’occidentaux, et dans les écoles de restauration, afin de définir des règles d’intervention.
A partir des années 80/90 on observe des interventions réalisées en Asie, au Tibet même, les techniques employées sont souvent assez proches des techniques anciennes et les imitent parfois de très près, toutefois elles restent relativement faciles à démasquer. On a affaire dans ces cas à des peintres formés dans des ateliers traditionnels, leur qualité d’exécution est alors excellente, néanmoins ils évoluent dans la méconnaissance de toute éthique. De nombreuses copies et faux sont aussi produits sur des toiles anciennes avec des moyens techniques particulièrement pertinents. Un grand nombre d’œuvres anciennes et moins anciennes parviennent jusqu’à nous, dans un état de conservation médiocre, jaunies, salies et lacunaires. En revanche d’autres oeuvres, y compris d’époques très anciennes, subsistent dans un état de fraîcheur et de couleurs remarquable. Il est important de noter que de nombreux conservateur-restaurateurs se sont posé la question de l’intervention concernant des œuvres de dévotion. Le 11 juin 1998, un numéro anniversaire de l’Araafu (Association des restaurateurs d’art et d’archéologie de formation universitaire) est consacré à ce sujet. Cette question délicate s’applique en effet à de nombreux types d’œuvres : icônes, textes anciens, bannières, peintures religieuses encore utilisé pour le culte…
Il est toujours intéressant d’amorcer une réflexion pour savoir s’il est possible d’appliquer les règles générales de la conservation/restauration à toute œuvre d’art et en particulier aux Tangkas sans leur ôter leur sens et sans les couper de leur tradition.
Le Tangka est il devenu une œuvre d’art ou bien reste-t-il un objet de culte bouddhiste ?
La constitution même du tangka dirige la conception de la conservation/restauration.
La peinture tibétaine est construite sur un schéma graphique très contraignant. Elle est aussi une peinture sur toile, mais néanmoins se présente comme une œuvre roulée devant rester souple et libre. Son esprit s’apparente souvent à celle de l’enluminure mais sur des surfaces de tailles variées.
Pour la restaurer il est nécessaire d’établir un processus de conservation/restauration avec des règles évitant les improvisations. Le premier travail est l’examen visuel, il donne de multiples informations. Il est la base de la détermination des éléments constitutifs de l’œuvre à restaurer. Bien observer et analyser une œuvre permet de diriger ensuite une bonne étude scientifique et non l’inverse. C’est un temps tout particulier dans la restauration, et constituer la fiche technique précise d’une œuvre est le premier témoin historique d’intervention sur l’oeuvre.
Vient ensuite l’examen photographique, outil de travail précieux et indispensable. On peut citer ici les travaux d’Enrico Isacco qui ont permis d’établir un tableau précis de la réflexion UV et IR des pigments utilisés dans les écoles de peintures indiennes mais aussi népalaise et tibétaine. Moins utilisés car destructifs, les prélèvements sont destinés à l’analyse chimique pour l’identification des pigments et à la datation des textiles.
Cependant, il faut insister sur le fait qu’une bonne évaluation des techniques tibétaines, liée à une connaissance des origines géographiques et historiques des œuvres ainsi que des observations optiques approfondies, permettent de limiter ces prélèvements.
Dans la peinture tibétaine la préparation du dos est aussi soignée que celle de la face. Il véhicule des formules de consécration, des mantras ou d’autres inscriptions à teneur historique ou religieuse. La toile est donc un support pour deux surfaces d’enduit qu’elle solidarise dos à dos et pour lesquelles elle constitue une armature.
Le support devra donc retrouver sa cohésion. En effet si le processus de dégradation a commencé, lacunes, déchirures, pertes d’écailles, l’intervention de consolidation s’impose. On doit considérer ces éléments de façon plus cruciale que dans une peinture occidentale maintenue par un châssis. Re-fixer une œuvre ancienne aqueuse, souple avec des produits synthétiques apparaît souvent inadapté, la peinture tibétaine a une qualité technique intrinsèque : elle peut être régénérée avec des colles naturelles très légères analogues à celles qui la constituent.
De la même façon, la méthode du fil à fil utilisée en restauration occidentale permet de reconstituer la trame de l’œuvre — si elle est pratiquée avec soin sur table lumineuse — et s’impose comme une solution peu interventionniste. En principe, le doublage doit être proscrit. Dans certains cas, l’oeuvre n’a pas besoin d’autre intervention.
Nettoyer doit rester une intervention légère, mécanique, et sous contrôle. La réintégration d’une œuvre tibétaine reste une intervention délicate. Des prises de positions souvent théoriques ont été énoncées sur la réversibilité, la lisibilité des interventions et les moyens employés. Débattre de ces questions est aujourd’hui important.
Les conditions de stockage et de conservation doivent être sous contrôle de température et d’hygrométrie en rapport avec leur condition d’origine.
Compte tenu de la fragilité des œuvres et de leur condition de conservation, il faut souligner que, tout geste du restaurateur/conservateur représente un acte particulièrement engageant. La réintégration ne doit être que le dernier élément d’un travail préalable éventuel, de consolidation, de nettoyage et réhabilitation de la structure mécanique de l’œuvre, gage essentiel de pérennité.
Il serait intéressant de réunir autour de ce sujet délicat, un collège pluridisciplinaire confrontant des restaurateurs, des conservateurs et des historiens. Ce groupe de travail pourrait alors analyser les travaux de ces trente dernières années, dégager une synthèse des interventions négatives et positives et permettre d’instaurer un réel débat de fonds dans ce domaine si particulier.
Cet article est le premier d’une série de trois plus développés des auteurs, précédant la publication d’un ouvrage complet sur la Conservation/Restauration des peintures & manuscrits himalayens.
Jean Michel TERRIER Conservateur Restaurateur de peintures Himalayennes
Brigitte ROMAN Conservation Restauration d’art himalayen et d’extrême orient
Marion BOYER Diplômée de Conservation Restauration de peintures himalayennes et occidentales